Être une personne racisée sur les réseaux sociaux.
"Aujourd'hui, une personne racisée doit redoubler d'efforts pour exister."
par Adel
Internet et ses rêveries.
Dans ce monde d’Internet si parfait, où la vie est mise en scène comme un rêve, où c’est devenu « normal » d’avoir cinq Birkin à 80 000 € et honteux de ne pas en avoir, où tu peux te faire harceler parce que tu n’aimes pas l’artiste le plus tendance…
On te fait croire que pour être heureux, il faut avoir des collaborations, des voyages, des valises Sephora. Mais attention, selon certains, les influenceurs « galèrent plus que quelqu’un à l’usine.» (la folie vraiment).
Et depuis quelque temps, une tendance explose sur TikTok : vendre le rêve de devenir influenceur.
Comme si c’était évident que tu vas gagner 100 000 € par mois, finir au premier rang chez Dior, voyager gratuitement, recevoir des colis toutes les semaines…
Bref, tous les privilèges des très grandes têtes d’affiche de l’influence (et parfois même plus, ce qui rend leurs vidéos carrément ridicules).
Aujourd’hui, je voulais parler de pourquoi ce rêve-là, quand il est vendu sans nuances, peut détruire.
Depuis 2016, le métier d’influenceur a connu une croissance de +1400 %. L’industrie est passée de 1,6 milliard d’euros à 38,2 milliards d’euros aujourd’hui. C’est énorme et oui, c’est une bonne chose que le métier soit enfin reconnu.
Mais dans ce métier comme ailleurs, tout le monde ne part pas avec les mêmes chances. Aujourd’hui, pour se lancer sur les réseaux, il suffit d’un téléphone. Même plus besoin de ring light. Une lumière dans ta chambre suffit. Et hop, l’aventure commence.
Mais si tu es une personne racisée, est-ce que tu as les mêmes opportunités ? Est-ce que tu accèdes aux mêmes campagnes ? Est-ce qu’on t’ouvre les mêmes portes ? La réponse, c’est non. Et c’est là que ça coince.
La différence pose problème.
Je parle ici de vécu.
Mon entourage et moi, on a été confrontés directement à des situations racistes et discriminantes dans ce milieu:
•Des amis noirs refusés en agence, uniquement à cause de leur couleur de peau.
•Une femme noire écartée d’une collaboration car jugée « trop noire ».
•Des profils maghrébins proposés plusieurs fois à des marques, systématiquement refusés au profit de profils blancs.
Et ce genre d’injustices, ça existe tous les jours, dans les coulisses de l’influence et des autres milieux.
Ces discriminations ne sont pas juste blessantes. Elles ont des conséquences concrètes.
• Moins de représentation
• Moins de visibilité
• Moins de chances de monétiser son travail
• Moins d’opportunités à long terme
À moins de rentrer dans les cases d’une minorité "acceptable".
L’exemple de Léna Mahfouf : minorité acceptable ?
Prenons l’exemple de Léna Mahfouf, que j’aime beaucoup au passage.
Elle a elle-même expliqué qu’elle était une version « maghrébine acceptable » pour la publicité française. Pourquoi ? Parce qu’elle ne colle pas aux clichés que cette société colle aux personnes maghrébines.
Et même le prénom, dans ce pays, peut faire la différence.
Est-ce que si elle s’était appelée Khadija ou Fatima, et portait le voile, elle aurait eu les mêmes opportunités ?
Spoiler : non.
Et ce problème existe aussi pour les personnes noires, on va plus facilement mettre en avant une femme métisse, qu’une femme darkskin. Les minorités sont toujours filtrées, triées, adoucies pour coller à ce que la société dominante accepte.
Tu dois te taire pour espérer réussir.
Comme si ça ne suffisait pas, une personne racisée doit redoubler d’efforts pour exister.
Il faut prouver qu’on mérite sa place, il faut faire attention à ses mots, il ne faut pas trop s’exprimer, pas être "trop politique" , juste faire son contenu, se taire et espérer que ça passe.
Ce n’est pas impossible, non.
Mais c’est beaucoup plus difficile.
On manque encore énormément de représentation sur les réseaux, dans les magazines de mode, dans le cinéma. Oui, le monde évolue, mais il est toujours contrôlé par ceux qui décident de qui peut monter ou pas. Ils nous veulent pour les campagnes de com, pour les coups de com, pas pour changer le système. Comme quand une marque invite UNE femme voilée, UNE personne noire ou maghrébine… juste pour pouvoir dire:
« C’est bon, on a coché la case de la diversité.»
Et quand on se plaint du manque de représentation, on nous ressort toujours les 3 mêmes noms, comme si ça suffisait pour représenter des millions de personnes.
À qui la faute ?
Ce n’est pas la faute des influenceurs privilégiés.
Je précise : je parle du système.
Ce n’est pas la faute des créateurs de contenus privilégiés, car certains d’entre eux voient le système tel qu’il est et en parlent.
Mais aujourd’hui, avec bientôt 5 ans d’expérience dans l’influence, je peux dire que je vois clairement :
• Le manque de reconnaissance
• Le manque de respect
• Le mépris
• Le sentiment d’être invisible
Continuer ou arrêter ?
Aujourd’hui, je suis dans un état d’esprit où, s’il faut prouver 10 fois plus, je le ferai.
Pas parce que c’est normal.
Mais parce que je n’ai pas le choix. Et si je réussis, je me battrai pour changer ce système, pour que plus personne n’ait à galérer comme nous.
Je veux réussir pour moi, mais aussi pour tous ceux qu’on invisibilise.
Pour ceux à qui on demande toujours plus.
Pour ceux qu’on ne regarde jamais dans les yeux.
Oui, je suis fatigué.
Oui, j’ai eu envie d’arrêter.
Je me suis dit que ça ne valait pas la peine.
Mais ce système attend ça de nous :
Qu’on se taise.
Qu’on disparaisse.
Qu’on existe selon leurs codes.
NON, on ne doit pas normaliser la galère pour réussir.
NON, une personne racisée ne devrait pas avoir à prouver 20 fois plus qu’elle mérite sa place.
OUI, on mérite d’exister. Et de réussir. Librement.
Pour conclure.
Merci à vous de m’avoir lu jusqu’ici.
Merci à ceux qui me soutiennent.
Ce combat me fatigue, me ronge parfois mentalement, mais je ne lâcherai rien.
La seule chose qui me stoppera, c’est la mort.
Je suis fier de moi.
Fier de ce que j’ai construit.
Fier, à mon si jeune âge, d’en être là.
On y arrivera. Ensemble.
Adel.